Vous êtes entrepreneur et vous rêvez de bousculer les codes d'un secteur établi ? Vous pensez que pour innover, il faut des millions ? Thomas Baillod, fondateur de BA111OD, prouve le contraire.
Parti avec 5000 francs suisses et une idée folle, il a non seulement créé une marque horlogère qui pèse aujourd'hui plusieurs millions, mais il a surtout repensé radicalement la manière de vendre des montres.
Oubliez le "out of the box", Thomas propose de carrément "skip the box" (enlever la boîte). Un concept pragmatique, audacieux, et incroyablement inspirant pour quiconque bâtit une entreprise.
Comment a-t-il fait pour défier une industrie de 25 milliards avec un capital initial minuscule et une approche disruptive ?
Le coût caché de la distribution : le gros steak à prendre
Pour comprendre la révolution BA111OD, il faut d'abord saisir les règles du jeu de l'horlogerie traditionnelle.
Thomas, économiste de formation et expert de la distribution horlogère internationale, le sait mieux que quiconque.
L'industrie a longtemps fonctionné sur un modèle linéaire : la marque vend à un distributeur, qui vend à un détaillant, qui vend au client final. À chaque étape, il y a transfert de propriété et ajout de marge.
Le hic ? Le coût.
Thomas révèle un secret bien gardé :
Quand on achète une montre, "ce que l'on paie le moins, c'est la montre".
Une montre vendue 1000 francs peut ne coûter que 175 francs à produire. Le reste ? C'est principalement la distribution (jusqu'à 65% du prix !) et le marketing (10-15%).
C'est le coût de la "commodité d'acheter la pièce", le magasin physique, le service, le stock.
Avec la baisse des volumes d'exportation (passés de 30 millions à 15 millions de montres en 10 ans tout en augmentant la valeur), l'industrie s'est concentrée sur le très haut de gamme pour maintenir son chiffre d'affaires.
L'équation du profit est simple : Marge x Quantité. Si la quantité baisse, il faut augmenter la marge. Où la trouver ? Sur la distribution.
Les marques traditionnelles ont timidement exploré le e-commerce pour capter cette marge, mais souvent au détriment de leurs détaillants historiques. Surtout, le e-commerce pur, bien que rentable, offre une expérience d'achat froide et "aussi froid qu'un pixel".
Thomas a vu cette bifurcation fondamentale entre un modèle physique coûteux en expérience et un modèle digital "très mauvais en expérience" mais rentable. Sa conviction ? Il existait une "voix médiane figitale".
We-Commerce : quand le client devient point de vente
C'est de cette conviction qu'est né BA111OD.
L'idée initiale n'était pas de lancer une marque, mais de démontrer un concept économique. Après avoir essuyé 25 refus de marques établies ("personne comprenait" le figital en 2016), Thomas a décidé de se lancer seul.
Le concept de We-Commerce est une "évolution communautaire" du e-commerce.
Son principe : faire du point de vente le point ou le poing de vente. Le client existant, baptisé "afluendor" (contraction d'ambassadeur, influenceur, vendor), devient à la fois le vendeur et l'ambassadeur de la marque.
Comment ça marche ?
Au début, l'unique façon d'acheter une montre BA111OD était de passer par quelqu'un qui en possédait déjà une. Le propriétaire ne vendait pas sa montre, mais un "droit de commander", un code.
Ce système transformait le client en "marketing et distributeur" de la marque. En "sautant les intermédiaires" et en externalisant ces coûts à sa communauté passionnée, BA111OD peut proposer des montres de "haute qualité à des prix justes", des prix qui "défient les lois de la gravité".
Le nom imprononçable BA111OD lui-même était une stratégie pour "forcer mes clients à parler de ma marque" en expliquant l'histoire derrière ce nom "chelou".
Plus récemment, le concept a évolué avec une puce NFC intégrée dans le verre des montres. Scanner la montre ouvre la propre boutique en ligne du client, lui permettant de vendre directement à son entourage et de gagner des points pour obtenir des avantages (montres gratuites, etc.). C'est un modèle "user generated commerce", viral, basé sur le partage de passion.
Le défi de la croissance et de la crédibilité
Passer de concept à marque, de 5000 francs à des millions, a nécessité des ajustements. BA111OD a ouvert ses ventes en ligne pour ne pas limiter l'accès ("le client est roi") et déploie désormais des "points d'expérience" physiques, créant un pont "entre commerce traditionnel et digital".
Mais le plus grand défi de BA111OD réside dans ses prix. Offrir une montre certifiée chronomètre pour 820 francs, quand la concurrence est à 2000 ou 2500 francs et plus, est un "crime de lèse-majesté".
C'est la plus grande force de la marque, mais aussi sa plus grande faiblesse, car les gens ont du mal à croire à la qualité à ce prix. C'est l'"effet Veblen" ou l'effet snob : on associe bas prix à basse qualité.
Pourtant, Thomas est formel : la qualité est comparable, voire supérieure, à beaucoup de marques établies.
L'assemblage est 100% fait dans le canton de Neuchâtel, et ils utilisent les mêmes usines que de grandes marques. Le secret, encore une fois, c'est le modèle de distribution.
Thomas a prouvé sa crédibilité en lançant des modèles Swiss Made à des prix défiant toute concurrence. Sa motivation : montrer qu'il a raison.
Bâtir une équipe et embrasser l'Erreur
On ne passe pas de 5000 francs à 4 millions tout seul. Thomas a dû s'entourer. Sa stratégie : recruter des "intrapreneurs", des gens capables de s'approprier le projet et de prendre des décisions. Son style de management est plat, considérant ses employés comme des collègues.
Une philosophie clé pour avancer vite : tolérer les erreurs. Thomas vise le 90-95%. Les 5% d'erreurs restantes ? Elles sont acceptées, car la "rapidité nous amène une agilité qui est fantastique".
Il considère même une erreur coûtant entre 5000 et 10000 francs par employé comme une "formation". Cette approche décomplexe l'équipe et encourage les initiatives.
Il illustre ce point avec l'exemple d'un modèle, le Chapitre 7, qui était "un peu grande, un peu épaisse" car ils étaient allés "trop vite", sans assez de prototypes. L'équipe a posé le pied au mur, et désormais, ils prennent le temps nécessaire pour les corrections. Ce n'est pas aller plus lentement, c'est "anticiper plus".
Thomas confie que cette phase de croissance a nécessité un "lâcher prise", une transition difficile (un peu comme un deuil pour le petit bébé des débuts). Il a appris à faire confiance, même si le résultat n'est pas toujours exactement comme il l'aurait fait (il est perfectionniste). Il valorise énormément que ses équipes "ont le droit de s'exprimer, de me remballer, de dire non" – indispensable quand on ne veut pas aller dans le mur.
Vision, pragmatisme et une touche d'inconscience
Aujourd'hui, Thomas consacre beaucoup de temps à la stratégie et au développement international (son "projet de fond"). Ses moments de réflexion privilégiés ? Entre 3h et 5h du matin, une sorte de "méditation" où la vision n'est pas "enchaînée à des réalités" opérationnelles.
Pour gérer le quotidien sans se noyer, il a une approche agile : moins d'emails, plus de WhatsApp et LinkedIn.
Sa règle : si c'est vraiment important, "ça arrivera à moi" ; sinon, "ça peut se régler sans moi". Il aime cependant "garder les mains dans le cambouis", rester connecté au terrain, là où, selon lui, "la bataille se gagne".
Pour les entrepreneurs qui nous lisent, Thomas offre quelques conseils inspirants :
- Garder confiance et garder le cap. Même face à un obstacle qui semble infranchissable (l'arbre très fouillu), il faut "se rapprocher du truc" pour trouver les chemins cachés.
- Ne pas attendre que tous les feux soient verts. Il y a une part "d'inconscience" nécessaire pour se lancer et avancer.
- Innover en changeant l'ordonnancement. Pas besoin de tout réinventer, il suffit parfois de réarranger les éléments existants pour créer quelque chose de radicalement nouveau. C'est ça, le véritable "skip the box".
Conclusion : l'audace rapporte
L'histoire de BA111OD n'est pas seulement celle d'une marque horlogère, c'est celle d'une disruption réussie portée par une vision claire, une audace folle, une approche pragmatique des coûts et une confiance dans l'humain.
Thomas Baillod a montré qu'il est possible de challenger les géants, de proposer une valeur exceptionnelle et de bâtir une communauté engagée, même avec peu de moyens au départ.
Sa capacité à repenser la distribution, à embrasser l'erreur comme formation et à maintenir l'agilité tout en grandissant offre des leçons précieuses pour toute PME qui aspire à se développer et à innover.
Pour plonger encore plus profondément dans l'histoire de Thomas, ses défis, son approche managériale et ses anecdotes (dont le nom initial "COVID" pour son modèle viral !), écoutez l'intégralité de cet épisode passionnant du podcast Process Advantage