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Vous le savez.
Votre PME ne navigue plus en eaux calmes.
Le monde dans lequel vous grandissez ressemble davantage à une mer démontée : permacrise, volatilité, accélération du tempo business, clients impatients, équipes sous pression.
Vous avez des projets partout, un agenda qui déborde, et une stratégie qui change plus souvent que la météo.
La croissance est écrite sur votre vision.
Mais le chaos, c’est votre quotidien.
La croyance dominante ?
“Les processus, ça tue la liberté.”
Faux. Dans un monde instable, les processus sont les seules armes qui vous permettent encore d’avancer vite sans vous fracasser.
C’est le message que nous avons approfondi avec Laurent Morisseau, consultant en stratégie adaptative, l’un des pionniers du Kanban en France.
Un homme qui a vécu assez de tempêtes - sur terre et en mer - pour comprendre ce qu’est réellement la maîtrise en contexte incertain.
Il nous a offert cette phrase-sabre, simple et brutale :
« En mer, tu ne gagnes pas dans les moments stables. Tu gagnes dans les transitions. Et aujourd’hui, on est en transition permanente. Donc il faut faire des choix. »
Si vous voulez transformer votre chaos en moteur de rentabilité, vous devez apprendre à gagner dans les transitions.
Voici comment.
1. Le déclic : quand l’échec vous force à voir ce que vous refusiez de regarder
La plupart des bonnes méthodes naissent mal : d’une crise, d’un projet foireux, d’un mur qui se rapproche trop vite.
Pour Laurent, tout commence en 2007. Première mission solo. Projet vendu trop bas, trop complexe, trop flou. Bref : voué à l’échec.
Impossible de s’en sortir avec les outils classiques. Il commence donc à fouiller du côté du flux (Lean, Reinertsen), sans encore savoir qu’il met le pied sur ce qui deviendra le Kanban.
Et là, déclic.
Rendre l’invisible visible.
Transformer les suppositions en faits.
Mettre la réalité sur la table.
En visualisant le flux, Laurent voit immédiatement que l’équipe ne peut pas tenir la charge. Impossible. Grâce à cette visualisation, la direction renégocie le projet : la réalité devient actionnable.
Ce n’est plus un ressenti.
C’est un diagnostic.
C’est ça, la vraie nature de l’organisation :
non pas une machine bureaucratique, mais un moyen d’arrêter de deviner.
Pour vous, dirigeant, la leçon est tranchante :
Votre plus gros problème aujourd’hui n’est pas la complexité.
C’est l’invisibilité.
Rendez visible ce que vous refusez de regarder, et le chaos redevient gérable.
2. L’agilité mal comprise : ce n'est pas aller vite, c'est apprendre vite.
L’agilité a été massacrée par les buzzwords. On croit que c’est “livrer plus vite”.
Non.
L’agilité, c’est réduire le délai d’apprentissage.
Point.
L'objectif n’est pas d’augmenter votre vitesse, mais de réduire le temps nécessaire pour apprendre qu’une idée est bonne… ou mauvaise.
Un produit développé en un an mais rejeté en une semaine ? C’est 12 mois de capital évaporé. Si vous pouvez obtenir la même information en huit semaines, vous gagnez dix mois.
C’est le coût du retard.
Et pour apprendre vite, il faut une règle contre-intuitive :
Geler le changement… pour mieux piloter le changement.
Pas pour six mois.
Pas pour un an.
Pour la durée de la cadence :
- opérationnel : 1 à 3 semaines
- tactique : 1 trimestre
- stratégique : 6 à 12 mois
Pendant cette période : on ne change pas la mission, on exécute.
Puis on réévalue.
C’est la seule manière :
- d’avancer sans disperser l’énergie
- d’obtenir du feedback réel
- d’accepter de jeter ce qui ne fonctionne pas
3. Du kanban aux OKR : quand la maîtrise du flux rencontre l’exécution stratégique
Après des années centrées sur les équipes et le flux, Laurent se heurte à une limite : les équipes produisent mieux, plus vite, plus proprement… mais l’entreprise reste lente, hésitante, prisonnière de sa propre inertie.
Le problème n’est plus opérationnel.
Il est stratégique.
C’est là qu’interviennent les OKR.
Les OKR ne sont pas une méthode d’objectifs.
Ce sont des dispositifs d’exécution stratégique.
Le rôle de l’Objectif (O) : définir l’ambition.
Le rôle des Key Results (KR) : définir le critère de victoire sans ambiguïté.
Les OKR montent les étages, relient la vision au quotidien, et surtout :
ils évitent aux dirigeants de s’enfouir dans les détails pour éviter les décisions difficiles.
Les OKR ne vous disent pas comment produire.
Ils vous disent pourquoi produire.
C’est la différence entre une équipe qui travaille bien, et une entreprise qui avance.
4. Le choix radical : limiter pour multiplier
Une phrase déclenche souvent un silence gêné avec les dirigeants :
– “Mais Laurent, on doit tout faire !”
– “Oui. Mais pas en même temps.”
La tentation naturelle est de bâtir les objectifs sur ce que vous pensez pouvoir faire :
- votre budget
- vos ressources
- votre charge actuelle
C’est la pire erreur.
Construire sur la capacité tue l’ambition.
Construire sur l’ambition force le focus.
Pour Laurent, la règle est simple :
- startup : 1 objectif
- PME établie : 3 maximum
Pas plus. Chaque initiative ouverte est :
- du capital immobilisé
- du temps réinvesti plus tard
- un risque opérationnel
- un coût de coordination
- un allongement du délai de livraison
C’est le travail en cours (WIP), invisible dans les entreprises de services.
Imaginez un four à pâtisserie :
si vous mettez 30 gâteaux d’un coup, vous augmentez le délai total. Si vous les faites par petites fournées, vous livrez plus vite, avec moins d’erreurs, et vous récupérez du feedback.
Votre entreprise fonctionne comme un four.
La différence : vous ne voyez pas le stock. Vous le payez en silence.
Les OKR arbitrent.
Le Kanban exécute.
C’est la combinaison qui permet réellement de délivrer.
5. Le management post-autoritaire : l’intelligence collective comme accélérateur
Les OKR changent la nature du management.
On ne cascade pas des objectifs comme dans un système hiérarchique classique.
La direction donne le cadre.
Les équipes proposent leurs propres OKR tactiques.
C’est le back-brief utilisé dans l’armée :
on explique au commandement comment on va accomplir la mission, ce qu’on prévoit, et pourquoi.
Les équipes démontrent :
- leur compréhension de la stratégie
- leur capacité d’interprétation intelligente
- leurs arbitrages terrain
C’est là que naît la stratégie émergente.
Si vous payez des gens intelligents, laissez-les l’être.
Ne les réduisez pas à des bras.
Donnez-leur une mission, pas une liste de tâches.
La vitesse stratégique se gagne là.
6. Pointer le système, pas les gens : la transformation sans violence
Toute transformation génère de la peur.
Normal.
Les managers se demandent :
“Quel est mon rôle quand je ne contrôle plus tout ?”
La réponse tient en un changement de paradigme :
Les individus font toujours de leur mieux dans le système existant.
Si ça ne marche pas, ce n’est pas eux. C’est le système.
En déplaçant la responsabilité vers le processus, vous :
- diminuez la culpabilité
- augmentez la sécurité psychologique
- créez de la responsabilité collective
- encouragez l’amélioration continue
Les processus ne sont pas l'ennemi de l’innovation.
Ils en sont le terreau.
Mais ils doivent être adaptés au stade où vous êtes :
- exploration (créativité) : Lean Startup, Design Thinking
- exploitation (efficience) : Kanban, systèmes tirés par le flux
Et surtout :
on n’impose jamais un outil sans test.
Les méthodes s'adoptent comme un vaccin :
par essais, pas par dogme.
Laurent recommande :
- commencer par les OKR (alignement)
- puis mettre en place le Kanban (exécution)
Conclusion : vous avez le droit de vous planter. Pas celui de rester ignorant.
Le rôle d’un dirigeant n’est pas d’avoir raison.
C’est d’apprendre plus vite que la concurrence.
Vous pouvez vous tromper.
Vous pouvez pivoter.
Vous pouvez jeter un projet après deux mois.
Ce que vous ne pouvez pas faire :
continuer sans apprendre.
Votre charge mentale baisse quand votre stratégie est claire.
Votre rentabilité augmente quand vos processus sont visibles.
Votre entreprise avance quand vos équipes savent pourquoi elles travaillent — et dans quelle direction.
Aujourd’hui, vous avez un avantage immense :
les outils existent. Ce qui manque, c’est le courage de les utiliser correctement.
Laurent le dit sans détour :
la seule chose vraiment dangereuse, c’est de s’accrocher à quelque chose qui ne fonctionne plus.
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