Remise de ma compagnie et 11 enseignements

Le 11 juillet 2023, j'ai remis le commandement de ma compagnie à mon successeur.

Rappel : en Suisse, l'armée est obligatoire. L'armée suisse est une armée de miliciens, encadrés par des professionnels. Le milicien est un citoyen soldat qui accomplit ses jours de service en une fois (service long) ou en plusieurs fois (école de recrue + quelques cours de répétitions).

En 2007, j'ai effectué mon école de recrue dans les troupes du sauvetage.
Une troupe spécialisée qui intervient en cas de catastrophes naturelles (feu, inondation, tremblement de terre).

Avec le système de milice, il est possible de faire de l'avancement tout en progressant dans sa carrière privée. C'est ce que j'ai fait en devenant commandant de compagnie en 2020.

J'ai eu le privilège de reprendre une compagnie en plein COVID. J'en ai bien bavé. Mais je le dis souvent : on ne grandit pas en vacances.

Assurer l'administratif et planifier quatre cours de répétition pour les 175 militaires de ma compagnie (sans oublier la conduite !) laisse évidemment des traces.

Voici quelques enseignements que je tire de mon dernier cours de répétition qui a eu lieu en mars 2023

1. Si je veux être apprécié en tant que chef, je ne serais ni apprécié, ni chef

L'idée là derrière est que l'appréciation n'est pas un bon indicateur. Parfois une décision sera mauvaise pour l'individu mais bonne pour le groupe. Ou alors, désagréable sur le court terme mais essentielle sur le long terme.

Surtout, il n'est pas possible d'être apprécié par 175 personnes.

2. On se surestime tous. On sous-estime tous le rôle de la chance

Quand on gagne, on félicite nos compétences, quand on perd, on accuse la malchance. Le monde irait mieux si on inversait : quand on gagne, félicitons la chance. Quand on perd, posons-nous des questions sur nos compétences.

3. Je ne sais pas (encore), j'ai fait une erreur, je m'excuse

Trois phrases que j'ai cherché à instaurer à tous les échelons de la compagnie (officiers, sergents et soldats).

Le but était d'éviter d'être entouré d'officiers qui se taisent en me regardant foncer dans le mur avec une décision plus que douteuse.

Un autre objectif était d'instaurer une culture où il est ok de ne pas savoir et d'admettre les erreurs. Par contre, les erreurs cachées ont tendance à se multiplier dans un coin et créer des monstres. C'est ce que je voulais éviter.

4. Une personne qui n'admet jamais son ignorance ou ses erreurs ne devrait pas être placée dans un rôle important pour la compagnie

Ce genre de personnes nécessitent beaucoup d'énergie à être gérées. C'est comme conduire une voiture avec des roues carrées. 

5. Il faut savoir punir de manière appropriée et abandonner la rancune

Nous faisons tous des erreurs. La punition remet les compteurs à zéro. 

6. Les gens ne disent pas qu'ils vont mal / ont trop de travail

Ils veulent (certains) être uniquement bien vus... c'est le cas des jeunes lieutenants.

Je dois faire attention à ne pas les surcharger en m'attendant d'eux qu'ils me disent lorsqu'ils ont trop. Certains préfèrent le burn-out plutôt qu'admettre leurs limites.

7. Deux heures de route par jour, c'est deux heures volées à l'instruction

Avoir ses hommes et sa logistique (véhicules, lits, cuisine) au même endroit est une condition importante pour une instruction de qualité.

8. Plus mes véhicules sont loin de mon abri, moins je peux me permettre une erreur de planification

Chaque erreur a un coût bien plus important et il faut s'efforcer de penser aux conséquences de deuxième / troisième niveau. Cela augmente le temps de planification et la durée des rapports de compagnie.
 

9. Être fatigué et stressé augmente drastiquement les chances de tomber malade 

Tomber malade dans un abri, c'est la garantie de le rester 2-3 fois plus longtemps qu'en étant hors abri. Donc, protéger son sommeil (et celui de la troupe).

10. L'auto-organisation c'est possible dans certaines conditions

Ne pas tout régler dans les détails, laisser le groupe s'autogérer, garder les centres de décision proches des problèmes / du terrain est possible (et recommandé) quand une majorité des décideurs sont compétents, bien intentionnés et responsables.

11. Personne ne maîtrise totalement ses désirs et la plupart des gens ne se maîtrisent pas

Des limites doivent être mises en place pour le bien de tous. Ils ne l'avoueront pas, mais la routine créée par des limites prévisibles rassure et fait du bien.

Bien du plaisir à mon successeur.

Julien

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